Alber : “Être artiste, c’est être chercheur”
Présent dans la rue, à travers différentes galeries et sur les réseaux sociaux, Alber est un artiste en quête d’expérimentation. Partant d’un univers très marqué par le graffiti, il nous dévoile ici, ses différentes recherches, son évolution et le cheminement qu’un artiste peut suivre au cours de sa carrière à travers une diversification de supports artistiques : passer d’un mur à une toile, jusqu’à un volume. Un parcours artistique qui relie à la fois une personnalité, un style et des valeurs définies, avec un aspect plus commercial, sur des réflexions de marketing et de vente.
Comment t’est venue l’idée de passer de la rue à la toile ?
C’est à force de peindre dans la rue que les gens viennent à moi. On fait plein de rencontres : je ne poste pas de CV, mais je peins des murs. Des galeries se sont intéressées à mon travail, notamment la galerie Mathgoth il y a une dizaine d’années de cela. Ils m’ont demandé si j’étais capable de créer sur toile ce que je faisais sur mur. Ça impliquait également de changer de technique, de trouver le moyen de retranscrire mon style.
Quels sont les enjeux d’être présent dans ces différents lieux en un même temps : être présent aussi bien dans la rue, qu’à travers des expositions ?
Ça se complète. Il y a des gens qui vont adorer mon travail de street artiste, sans forcément avoir connaissance de mes expo, et l’inverse. Ce n’est pas la même manière d’attirer l’attention.
Ce qui est bien avec la rue, c’est que c’est appartenir à tout le monde et à personne à la fois. C’est vraiment accessible à toute classe sociale et c’est ça qui est totalement kiffant. Une ville en elle-même, c’est tout une atmosphère. Lorsqu’on en change, c’est un nouveau défi, une nouvelle manière d’expérimenter, une tout autre approche. Socialement parlant, c’est très intéressant. Mon but, c’est vraiment de mixer les deux.
En tant qu’artiste, préfères-tu travailler au sein de peu de galeries afin de pouvoir te focaliser sur des projets impactants artistiquement parlant, ou au contraire, développer ta présence le plus possible en tous lieux ?
Il y a des artistes qui sont partout, mais c’est une réflexion différente de la mienne. Ce n’est pas comme ça que je vois mon évolution artistique dans les galeries. Mon but n’est pas d’être présent partout, mais de faire des expositions marquantes, à un moment et à un lieu précis. C’est également une question de temps.
Cette année, je travaille avec deux galeries. Si elles me proposent des projets de façon régulière, je n’aurai pas le temps d’aller ou de faire des toiles pour une autre galerie. Mon style implique beaucoup de préparation en amont.
L’intérêt qu’il y a à travailler en galerie, c’est que c’est un échange : un pourcentage sur les ventes en échange d’initiative, d’un travail de mise en avant : qu’elle te place dans des foires d’art, dans des ventes aux enchères, etc. C’est notamment comme ça que j’ai pu développer un livre. Les ventes font également parties du business de l’art. Par exemple, si je ne vends plus de toile demain, j’arrêterais d’en faire. Il y a un impact financier.
Alternant street art et expositions, as-tu eu l’occasion de réaliser d’autres projets en parallèle tels que des collaborations ?
Souvent lorsque je vais peindre dans la rue, les gens vont m’interpeller et derrière, ça en devient un projet professionnel. J’ai déjà fait quelques installations, notamment au sein d’un restaurant. J’avais déjà peint dans un quartier et le lieu juste en face est venu me solliciter pour peindre également à l’intérieur. Pour moi à travers ce projet, c’était totalement intéressant car il y avait une résonance entre l’extérieur et l’intérieur, qui invitait à déambuler dans l’espace.
Mais je refuse aussi plein d’autres projets car artistiquement parlant, ça ne m’intéresse pas. Justement on m’avait appelé pour faire des collaborations avec certaines marques afin de mettre en valeur leurs produits, mais je trouve que ça ne met pas en valeur les artistes et ça ne fait pas avancer l’art en lui-même. C’est ma vision et je respecte ceux qui le font.
Réalises-tu des séries identiques de tes œuvres, des commandes et prends-tu les retours du public ? Trouves-tu cela pertinent artistiquement de s’adapter à la demande ?
Je ne réponds pas aux demandes et ne réalise qu’une seule fois mes productions de manière exclusive. Si c’est déjà vendu, il fallait être là au bon moment.
Pour moi être un artiste, c’est proposer des choses. C’est-à-dire décider du support, du visuel, des couleurs. C’est prendre position : c’est ça ou rien, et puis on voit. Si ça flop, ce n’est pas grave, tu auras appris. C’est comme un artiste qui fait de la musique : il sort son album et ne sait pas comment il va être reçu. Il prend position.
Du coup pour les visuels, je reste complètement libre et je vais plus m’adapter au niveau des supports pour une question de business. Par exemple, les grandes toiles vont être plus difficiles à vendre car les gens n’ont pas forcément de grands murs. Ce n’est pas parce que tu as fait de belles toiles qu’elles vont forcément partir plus vite. Je m’amuse de temps en temps avec ces formats-ci, mais je reste globalement avec des dimensions assez standard (1,20mX0,9m). Je m’adapte sans m’adapter. Que ce soit de petites comme de grandes toiles, je vais mettre autant de temps à les faire. J’agis en fonction de ce que j’ai envie de faire, mais aussi avec une réflexion de vente. Il y a forcément ces deux attraits : le côté artistique et commercial.
Comment te définirais-tu en tant qu’artiste ? Quelles sont tes volontés ?
Au fur et à mesure des années, je capte qu’être un artiste, c’est être un chercheur. Tu te prends la tête et tu avances. Je pense aussi qu’en tant qu’artiste, tu es là pour éveiller aussi bien les personnes qui ne sont pas forcément dans l’art, que celles qui le sont. Faire évoluer et avancer les choses.
Par exemple, je ne pourrai pas demander demain à un sculpteur de faire un visage avec mon style, parce que c’est anti-créatif. Je préfère le faire moi-même, même si je dois y mettre 15 ans de ma vie. Je suis donc en quête constante de recherche.
Expérimenter de nouveaux supports : réaliser des découpes laser de bois, des faux murs en briques que je faisais en résine, etc. C’est cool de sortir de la toile, mais j’aime également y revenir. On part sur une même technique avec des préparations totalement différentes en fonction des supports (bois, métal, toile, etc.).
Un projet totalement inventé où je me suis particulièrement amusé, a été la création de masque en faisant des moules sur des statues existantes. J’ai appris cette technique par moi-même, et je suis venu les clipser dans la rue. Ça fonctionnait super bien, mais du coup ça en devenait une œuvre qu’on pouvait voler et arracher, contrairement à un mur. Lorsqu’on se balade dans une ville, on oublie de regarder autour de nous par habitude. L’intention derrière ces masques, c’était de remettre en lumière ces statues. Tout le monde sait qu’elles sont là et les a vues, mais on ne les regarde plus. Je me suis donc intéressé à son histoire, et je viens y clipser un masque afin de lui donner une autre dimension, tout en respectant sa conservation.
Dès fois je me dis qu’en fait, je suis bien plus qu’un street artiste, je suis également un urbaniste qui réfléchit à intégrer son art dans la rue de manière indépendante, en perpétuelle quête de recherche et d’évolution de style.
Propos recueillis par Julie Corbou
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